Claire Cendres Dubois copyright 2016

LES PETITES EXPERIENCES
1
Musique de l'exposition Le monde fabuleux composée par Annie-France Verger.

SONORES
Dans la profondeur du sous-bois, sous le feuillage d’automne en décomposition, un curieux insecte aux pattes hérissées de longs poils fins fait vibrer ses antennes et frissonne à l’idée du proche festin à venir. Une frêle carcasse d’oiseau gisant au pied de l’arbre l'attend, impatiente et muette du bonheur d’en finir enfin avec ce monde d’en bas. Dans un confus mélange de plumes souillées, d’os à demi rongés et de terre mouillée l'insecte se dit en lui même, voici la juste récompense d’une longue marche forcée. Au dessus de lui, entre les cimes des arbres, le crépitement de la cire fondant près du soleil résonne au loin tandis que le souffle glacé de l’hiver se faufile entre les branches tel un zéphyr chargé de colère et de ressentiment, refroidissant les museaux humides des animaux sortis trop tôt de leur terrier.
Là-bas, en bordure de la ville, au pied d’une usine désaffectée, un homme termine de creuser sa tombe en enterrant à tout jamais le secret inavouable de son existence. Remplissant bien vite de terre le trou encore béant de sa propre lassitude, il prend appui sur sa pelle et pense que tout se finira ici, bientôt. Appréhension, démence et déraison couvrent les environs du sombre manteau de l’hiver. Le soleil perce des trouées de lumière bleutée, l’inquiétude plane pourtant au dessus de la forêt et sur les bêtes aux aguets. Soudains la chute. Icare ébloui tombe au dessus de la mer. Son corps explose la surface et traverse les eaux profondes et noire, les os craquent. Le fracas perce dans les tympans des trous béants desquels sortent de petits êtres étranges sortis du fond des eaux. Un petit rongeur inquiet se faufile et grimpe dans les jupes d’une fillette perdue au milieu des bois, petite échappée de contes de fée, prisonnière de l’écran cathodique, héroïne de nos nuits blanches et trop courtes. Elle tourne le dos aux nuages pour reprendre sa marche, les os craquants sous chacun de ses pas, de la phalange à l’occiput. Songeuse, elle repense à Icare qui n’est plus et continue sa route dans cette étrange contrée.
Elle traverse des champs, des marécages, des étendues immenses. Autour d’elle rôde l’incertain, les petites bêtes qui ne la quitteront pas, les enfants perdus aux questions pressantes, ici un reptile géant avec un garçon sur son dos qui la dépasse sans un mot. Une horde d’escargots translucides et démesurément grands dont les yeux globuleux oscillent au bout d’interminables antennes, la dévisagent, bêtes plus étranges que ses propres rêves, en procession avec leurs cavalières splendides et lointaines, lui disant sans un mot tout ce qu’elle devrait savoir pour survivre dans ce monde qu’elle ne connaitra jamais. On entend des soupirs, des gémissements, des frôlements et puis parfois un train au loin. Il y a aussi des meurtriers, de sublimes meurtrières en robe blanche, des bâtiments en ruines s’écroulant sous les regrets de vies inachevées, à peine rêvées, des animaux, toujours et encore, des volcans en fusion, des fausses actrices fatiguées serrant dans leurs mains moites de faux pistolets en plastique ; des fées encore, parce qu’il y en a toujours dans les contes d’enfants et des palais inquiétants. Des montagnes, des princes, des femmes nues, des femmes en deuil, Eve aux mille visages cherchant sa véritable histoire, hommes et femmes aux rêves inavoués, venus d’un autre temps dans ce monde étonnant, le monde fabuleux.